EMMANUELLE BAYART

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LA CHIMÈRE, 2007
5 tirages jet d’encre contrecollés sur aluminium, 4 tirages 86 x 70 cm, 1 tirage 122 x 86 cm
Vues
d'exposition, Plattform07, KunstWollen, ewz-Unterwerk Selnau, Zurich, 2007

"Nos chimères sont ce qui nous ressemble le mieux."1

"Nous avons et nous sommes un corps. De cette ambiguïté naît le dualisme qui oppose corps et esprit. De l’écart entre l’image que l’on a de soi, en partie inconsciente, et l’apparence donnée à voir, soumise au gré des circonstances, naît le sentiment de faire difficilement un. La chair est une évidence donnée, conduite à croître et à s’altérer en dehors de notre volonté. Le visage est le lieu des significations cachées, là où le sentiment de transparence du sujet à lui-même trouve son premier démenti et se heurte à l’intuition d’un monde caché au cœur de soi-même, à la fois proche et inaccessible. Le visage est au seuil d’une révélation. Il formule une promesse, sans être jamais en position de la tenir."2

La photographie est une épreuve de la dépossession, elle lit le visage à neuf, le rend méconnaissable, et souligne par sa force mimétique, l’ambivalence de notre rapport au réel.

"La Chimère" est une créature hybride, composée ici sommairement d’un visage et d’une main. Le monstre, être inconcevable, constitue un défi pour la pensée. Pour être tolérable, il importe que l’horreur ne reste pas tout à fait insensée aux yeux des hommes.

Boileau dans son Art poétique souscrit à ce jugement :
"Il n’est point de serpent ni de monstre odieux
Qui, par l’art imité, ne puisse plaire aux yeux :
D’un pinceau délicat l’artifice agréable
Du plus affreux objet fait un objet aimable."

La série "La Chimère" se compose de portraits d’un sujet, minutieusement orchestrés en studio. Sans référence à quelque contexte social, la personne photographiée s’apparente à un "modèle poupée" dont les dissemblances liées au dispositif suscitent l’incertitude. Serait-ce un seul et même personnage ou un masque de lui-même ?

1. Victor Hugo, Les Misérables, 1862
2. Propos cités du livre Des visages. Essai d’anthropologie de David Le Breton, éd. Métailié, 2003