EMMANUELLE BAYART

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OBJET A, Emmanuelle Bayart et Timo Kirez, 2014
Barque coupée, reproductions d'une carte postale, bande-son, 1,5 x 1,5 x 2 m

La bande-son est composée de l’hymne "Nearer My God To Thee", historiquement joué lors du naufrage du Titanic, ici étiré; d'enregistrements d’eau, de la voix de Cédric Djedje récitant "Paysage avec Argonautes" de Heiner Müller et de la conversation téléphonique entre le capitaine du Costa Concordia, Francesco Schettino, et son supérieur, Gregorio De Falco, lors du naufrage du paquebot le 13 janvier 2012 au large des côtes toscanes.

Extrait audio de l'installation (lien ici)

Texte de présentation de Timo Kirez
Dans le roman "The Sheltering Sky" de Paul Bowles, adapté à l’écran par Bernardo Bertolucci en 1990, Port, l'un des protagonistes, dit au tout début du livre: "Un touriste pense déjà dès son arrivée au retour à la maison, tandis que le voyageur ne reviendra peut-être plus jamais." Cette différenciation entre le voyageur et le touriste est intéressante pour plusieurs raisons. Bien qu’en réalité, on ne puisse pas toujours tracer une limite claire entre le voyageur et le touriste, cette distinction permet néanmoins d'aborder le thème du voyage sous un angle différent. L'installation "Objet a" met en scène une chaîne d'association d’idées possible, inspirée par cette distinction. Celle-ci commencerait par le thème du "naufrage" et son ambivalence, le naufrage signifiant à la fois le naufrage d'un navire, mais aussi l'échec. Par aillleurs, l'échec est un mot-clé de l’essai "Une théorie du tourisme" de Hans Magnus Enzensberger datant de 1958, dans lequel ce dernier parle, entre autres, de l’échec de la fuite du touriste à la discipline de la vie quotidienne de la société industrielle. Si on continue notre chaîne d'association, ce désir d'échapper, associé aux idéaux romantiques du XIXe siècle, s’apparente à la notion d’"objet a" de Jacques Lacan. L’"objet a" correspond à l'objet du désir ne pouvant être désigné par aucun objet réel et équivalant à l’"état de manque". Le voyage serait un moyen de surmonter cet "état de manque", non matériel mais bien psychologique, générant un désir de fuir la "réalité vide". Mais vide de quoi ? Peut-on lire le tourisme comme une critique sociale, implicite et cachée ? Ou le touriste, au contraire du voyageur tel que défini par Bowles, tombe dans un piège ? Ce que confirmeraient ses photos-souvenirs, images colorées de l'industrie du tourisme ? Après tout, le tourisme est une marchandise comme une autre. Il se base sur la standardisation et la production de masse (comme les cartes postales de l'installation). Toutes ces associations sont possibles. Et c'est le point de l'installation "Objet a". Il s'agit de rompre avec le conformisme et l’opinion dominante et de questionner les images, qui soi-disant, représentent la réalité. Une réalité qui est souvent, dans le cas du voyage et du désir, plus proche de la fantasmagorie que de la réalité objective.