EMMANUELLE BAYART

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LE SUJET, 2006
"play", tirage affiche 200 x 146 cm, 258 x 190 cm (selon le lieu d'exposition), ainsi que
6 tirages jet d’encre 63 x 77 cm contrecollés sur aluminium

De mars à juin 2006, je me suis rendue deux à trois fois par semaine à l’hôpital de jour de l’Unité de psychiatrie du développement mental des Hôpitaux universitaires de Genève à Belle-Idée. Au-delà de l’institution, ce sont les patients que je suis venue rencontrer. En possession de leur droit à l’image et ayant accepté d’être photographié, une série de portraits s’est avérée, pour moi, la meilleure façon d’entrer en contact avec eux. L’irruption du visage marque la  reconnaissance de l’autre et de son égale humanité. Je suis attirée par l’apparence, qui nous parle sans nous dire de quoi elle est faite, par l’impalpabilité de l’identité, par l’indéniable singularité de chaque être humain. Le visage est le lieu de notre aventure personnelle, tout comme il est, puisque nous ne nous voyons pas nous-mêmes, le lieu de l’autre. Le visage est, étymologiquement, objet de vision.

"Un personnage représenté dans une image reste une énigme, non pas tant sur le plan social que par la nature du travail de figuration. Cette dimension énigmatique est propre à l’art. Dans la vie réelle, lorsqu’on rencontre quelqu’un, on peut parler avec lui, on échange des idées, on apprend à le connaître. L’image, elle, figure l’autre comme une énigme. […] Nous sommes une énigme pour nous-mêmes, et nous pouvons en faire l’expérience dans l’art."1
Le geste, lui aussi, semble nous communiquer quelque chose, est-il pour autant plus bavard que le visage? Il est, comme ce dernier, interprété à notre image. "Le geste génère du vrai dans la dialectique qui le destine à un autre – dans les images, il est tout particulièrement destiné à l’œil"2, et nous interpelle. Le visage et le geste sont la trame du récit qui se raconte, dans la figuration pure, en demi-teinte.

"Ne pouvant nous voir, nous nous imaginons. Et chacun, se rêvant soi-même et devant les autres, reste seul derrière son visage."3

1. Jeff Wall, Essais et entretiens 1984-2001, Paris, Ecole nationale supérieure des beaux-arts, septembre 2001, p. 35
2. Jeff Wall, op. cit., p. 38
3. René Daumal, cité par David Le Breton, Des visages. Essai d’anthropologie, Paris, Anne-Marie Métailié, collection « Suites Sciences Humaines », 2003, p. 9